SAOR + IN THE WOODS + IMPERIUM DEKADENZ + CÂN BARDD // Petit Bain, Paris – 26/04/2025

Saor paris 2025 couv

On se retrouve à nouveau au Petit Bain, cette fameuse barge en bord de Seine, pour une nouvelle soirée de concert avec une affiche essentiellement Black Atmosphérique et Black Progressif. Tout d’abord SAOR, le projet solo du multi-instrumentiste Andy Marshall et son Caledonian Metal, les vétérans allemands IN THE WOODS, leur compatriotes d’IMPERIUM DEKADENZ, et un habitué de ce genre de tournée, la formation Suisse CÂN BARDD.

CÂN BARDD

La scène est encore baignée d’un bleu tamisé lorsque CÂN BARDD entonne les premières notes d’Une Couronne de Branches. On réalise à nouveau que la démarche de groupe repose sur une tension subtile entre la brutalité du black metal et la grandeur contemplative de paysages oubliés. Le charismatique frontman Malo Civelli incarne ce tiraillement : sa présence est à la fois posée et incandescente. Il ne s’adresse pas au public avec exubérance, mais avec respect. Il sait que les morceaux parlent d’eux-mêmes. Les guitares déroulent des vagues mélodiques aussi majestueuses que désolées, rappelant tantôt SAOR, tantôt ELDERWIND, sans jamais perdre une identité propre. CÂN BARDD ne joue pas comme un groupe d’ouverture. Il installe une ambiance, un climat, une brèche temporelle où chacun peut projeter ses propres souvenirs ou mythes.

IMPERIUM DEKADENZ

C’est la première fois qu’IMPERIUM DEKADENZ se produit en France. Ce duo, Vesparian et Horaz, accompagnés de musiciens live aguerris, offre un black metal grave, sobre, sans emphase théâtrale, mais à l’impact immédiat. Les Allemands nous offrent un voyage musical à travers les paysages austères de la Forêt-Noire. Les titres sont longs, denses, construits comme des fresques : une succession de lignes mélodiques massives, de plages plus contemplatives, et de remontées abrasives. Avec un visuel sobre et une pénombre épaisse, le groupe va au plus direct, avec parfois du chant clair, rare mais puissant, qui surgit comme une éclaircie dans la noirceur du paysage sonore. Le titre Memories… A Raging River sera le plus culminant du show, un titre qui vous happe, qui rend nostalgique de quelque chose qu’on n’a pas forcément vécu, et qui collerait à une compilation de moments forts de la saga The Last Of Us. Il y a dans IMPERIUM DEKADENZ une forme de dignité tragique. Pas de pose. Pas de surjeu. Juste un black metal viscéral, livré avec honnêteté.

IN THE WOODS…

On passe au troisième groupe de la soirée. Les membres d’IN THE WOODS… montent sur scène d’un pas solennel, sans gestuelle dynamique ni provocation. La sobriété scénique est assumée, presque distante, mais qui sied à leur réputation. Comme le nom du groupe l’indique, on reste dans un voyage sonore à travers d’épaisses forêts brumeuses. Dès les premières notes, le contraste avec IMPERIUM DEKADENZ est évident. Là où les Allemands étaient tendus, terreux et directs, IN THE WOODS… développe une approche plus diffuse, presque cinématographique. Les guitares installent des textures amples, parfois dissonantes, parfois presque post-rock. La batterie, en retrait dans le mix, soutient un édifice mouvant, toujours sur le fil. Certains titres marquent particulièrement les esprits : ambiances troubles, voix plaintive presque parlée par moments, montée lente mais inexorable. La lumière, froide et parcimonieuse, accompagne ce climat d’incertitude rêveuse. Il ne s’agit pas de provoquer une réaction immédiate, mais de laisser le temps faire son œuvre. IN THE WOODS… a offert un moment à part. Ni le plus explosif, ni le plus fédérateur de la soirée, mais sans doute le plus introspectif. Une proposition artistique qui ne cherche pas à plaire à tous, mais qui gagne en intensité par sa discrétion même.

SAOR

Andy Marshall et ses musiciens live arrivent sur la scène après une sorte de silence assez dense, ce qui est paradoxale avec les discussions dans la fosse. Après trois prestations puissantes, parfois brutales ou labyrinthiques, le public du Petit Bain attend autre chose. Une bascule. Une évasion. Et c’est exactement ce que va offrir SAOR, sans le moindre effet superflu. Pas d’introduction épique enregistrée. Le groupe entre simplement, et dès les premiers accords, la musique prend toute la place. Saor, ce n’est pas du black metal orné de folklore. C’est le souvenir chanté d’un monde ancien, le fracas du vent sur les hautes terres d’Écosse, les échos des batailles oubliées et des poèmes transmis à voix basse.

La formation, renforcée sur scène par Ella Zlotos à la flûte, propose un set consacré à son dernier album Amidst the Ruins qui sera tout bonnement joué en intégralité. Un choix méthodique pour sortir un peu des habituels morceaux car difficile d’en caser énormément dans une seul setlist au vue de la durée de la plupart, dépassant souvent les 10 minutes. Visuellement, l’éclairage fait écho à cette ambiance : des bleus profonds, des ocres d’automne, parfois des verts émeraude comme des éclats de mousse ou de feuillage humide. Rien d’agressif, rien de tapageur. La scène devient paysage, et les musiciens en sont les éléments constitutifs. On ne regarde plus un concert : on assiste à une évocation.

Pour les rappels, Aura est accueillie comme une incantation familière, un retour aux sources. Marshall ne fait pas de longs discours. Il n’en a pas besoin. Tout est dans la musique, dans cette sensation que le deuil et la beauté peuvent coexister, que les racines les plus profondes se transmettent par le souffle d’une note suspendue. SAOR n’a pas conquis le public. Il l’a reconnecté. À une émotion enfouie, à une forme d’appartenance perdue, à une mémoire collective que chacun porte sans toujours en avoir conscience. Merci à Tangui de À Jeter Prom et Garmonbozia pour les accréditations.

Photos : Solen Gueho

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